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Sociologie du romancier débutant

A propos de : Corinne Abensour et Bertrand Legendre, Entrer en littérature. Premiers romans et primo-romanciers dans les limbes, Arkhê.


par Adeline Clerc , le 12 septembre 2012


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Une enquête inédite se penche sur le processus d’« entrée en littérature » et s’intéresse au parcours des primo-romanciers et à leurs relations avec les éditeurs.

Recensé :

Corinne Abensour et Bertrand Legendre, Entrer en littérature. Premiers romans et primo-romanciers dans les limbes, Paris, éd. Arkhê, 2012. 158 p., 18.50 €.

Dans Entrer en littérature. Premiers romans et primo-romanciers dans les limbes, Corinne Abensour et Bertrand Legendre, spécialistes de l’édition contemporaine, investissent un « angle mort du champ éditorial » (p. 11), celui des auteurs qui voient leur premier roman publié. À travers ce livre, ils veulent montrer l’importance des premiers romans dans l’ensemble de la production littéraire, mais aussi la part qu’y prennent les éditeurs. Toutefois, l’intérêt du livre dépasse l’approche économique puisque les deux chercheurs examinent également les profils, les parcours des primo-romanciers et les relations qu’ils nouent avec leur éditeur. En cela, ils s’inscrivent dans une approche socio-économique. Outre le fait qu’il met en lumière une zone d’ombre, l’originalité de ce livre réside dans la méthodologie employée et la richesse des données recueillies. L’enquête, réalisée sur une période allant de 1988 à 2008, repose sur l’analyse de 278 questionnaires administrés à des primo-romanciers et sur des entretiens réalisés auprès d’éditeurs, d’auteurs, de professionnels de la médiation, de libraires et de responsables de manifestations littéraires. À cela, il faut ajouter l’étude de plusieurs dossiers de presse consacrés à des primo-romanciers et à leur production. Enfin, avec la même méthodologie, les deux chercheurs proposent une approche comparée tout à fait passionnante entre le monde littéraire anglo-saxon et le français. Cette étude comparative permet notamment de comprendre le rôle majeur que jouent les agents en Angleterre dans les modalités d’accès au champ littéraire [1].

D’une écriture fluide, concise et dénuée de toute lourdeur théorique, les quelque 138 pages (éclairées par de nombreux tableaux et graphiques et ponctuées de courts portraits d’écrivains) pourront satisfaire les attentes des professionnels du livre – qui y puiseront des données inédites sur le secteur éditorial du premier roman –, comme celles des universitaires qui y découvriront un milieu certes largement médiatisé, mais encore peu étudié par les sciences humaines et sociales. La structuration du livre en huit parties relativement courtes guide aisément le lecteur. La première présente les éléments méthodologiques de l’enquête. La deuxième replace le premier roman dans la production éditoriale et fournit des données quantitatives. Quant aux cinq parties suivantes, elles concernent davantage les primo-romanciers eux-mêmes, leurs profils sociologiques, les stratégies d’auteur qu’ils déploient en vue d’accéder à la publication (sélection des éditeurs, prise de contact éditorial, représentations des politiques éditoriales qui prévalent dans leur esprit, etc.), les relations qu’ils nouent avec leur éditeur, mais aussi les manières de gérer les activités de médiation (rencontre en milieu scolaire, salons du livre, etc.) et de médiatisation (prix littéraires et critique des médias). Ces activités recouvrent également toutes les entreprises d’autopromotion qui caractérisent le primo-romancier comme « entrepreneur de son propre talent » [2]. Enfin, la dernière partie ouvre la voie à une réflexion qui mériterait d’être approfondie et prolongée, celle de l’après premier roman. Que faire après la publication d’un premier roman ? Plusieurs cas de figure peuvent être envisagés. Corinne Abensour et Bertrand Legendre en livrent les principaux : poursuivre le travail d’écriture, changer d’éditeur, s’arrêter ou être refusé. Autant d’issues possibles qui prouvent que le statut d’auteur est loin d’être acquis pour un primo-romancier, que sa carrière littéraire n’est pas tracée d’avance et que celle-ci s’inscrit dans un processus dépassant la stricte publication du premier livre.

Qualifier et situer les primo-romanciers

Abensour et Legendre ont choisi de donner un sous-titre particulièrement éclairant à leur livre : « premiers romans et primo-romanciers dans les limbes ». Cette expression résume à elle seule le livre. Il convient donc, dans un premier temps, d’en dégager les occurrences principales et d’en interroger le sens. La préface du livre, écrite par Antoine Gallimard, renseigne sur le mot « premier roman ». Ce dernier a, semble-t-il, toujours eu une « forte valeur ajoutée ». « Édition virginale », le premier roman suscite un intérêt – fort et futile – de la part des médias. Le succès fulgurant d’Alexis Jenni (Goncourt 2011 pour son premier roman, L’art français de la guerre) ou encore celui de Jonathan Littell (Goncourt pour son premier roman, Les Bienveillantes) sont en ce sens éclairants. Le premier roman intrigue et interroge parce qu’il est marqué par le sceau de la nouveauté et parce qu’il est le fruit d’un talent émergent.

Donner une définition de ce que recouvre l’expression « primo-romancier » n’est pas aisé dans la mesure où le genre même de « premier roman » est dépourvu de fondement littéraire, et où le parcours éditorial de chaque « primo-romancier » emprunte des voies très différentes. En effet, dire de Yasmina Reza (auteur de théâtre confirmé avant d’être connu pour ses fictions) et de Marie-Claude Vincent (dont le premier roman est paru en 1999) qu’elles sont toutes les deux des primo-romancières pourrait, à juste titre, surprendre. Les deux chercheurs vont donc proposer une définition simple et suffisamment flexible afin de traiter à la fois d’auteurs déjà connus pour leurs publications antérieures et d’auteurs primo-édités. Ils admettent « comme “primo-romancier” tout auteur d’un “premier” roman, qu’il ait ou non antérieurement fait paraître des textes s’inscrivant dans d’autres domaines. […] Ne seront pris en considération ici que les textes fictionnels présentés par leur auteur et éditeur comme “roman”, à l’exclusion des récits et nouvelles » (p. 18). Ainsi, très tôt dans le livre, on apprend que la grande majorité des primo-romanciers (62 %) ont soit déjà publié, soit ont déjà une pratique d’écriture parfois intense remontant au plus jeune âge. Le mythe de l’écrivain néophyte s’effondre en partie, tout comme celui de l’âge qui est largement remis en cause puisque la répartition est presque parfaite entre les moins de 40 ans et les plus de 40 ans. La figure du jeune auteur reste malgré tout un argument de vente important précisent les deux chercheurs. Les médias insistent d’ailleurs longuement sur cet aspect lorsque celui-ci se présente.

Les limbes qualifient, dans la religion catholique, un lieu de l’au-delà situé aux marges de l’enfer. Elles désignent à la fois le lieu de transit qui correspond aux trois jours de tombeau de Jésus avant la résurrection, et le séjour où les justes de l’Ancien testament attendaient la venue rédemptrice du Christ. Assignée aux primo-romanciers, cette acception théologique fait référence au côté sacré régulièrement associé à la figure de l’écrivain. L’écriture serait l’expression d’un don mystérieux, voire divin. Mais, au côté sacré, il ne faut pas oublier d’ajouter le revers, à savoir le côté plus sombre du statut des primo-romanciers. En effet, tout comme les limbes sont un lieu où s’opère un changement, les primo-romanciers sont encore en devenir. Ils ont quitté leur condition d’écrivants à heures perdues, mais ne sont pas encore des écrivains à part entière et surtout ne se considèrent pas comme tel. En cela, ces primo-romanciers se situent dans une sorte d’entre-deux temporaire et incertain dont l’issue sera soit une deuxième publication (passage de l’amateur au professionnel), soit l’arrêt de publication. C’est ce qui amène les auteurs à qualifier les primo-romanciers d’acteurs d’un « art moyen » (p. 127) de la littérature (ni rejetés, ni intégrés, ni reconnus). Par ailleurs, cet espace de transit que sont les limbes renvoie à la difficulté que rencontrent les chercheurs, les éditeurs mais aussi les médias à qualifier cette catégorie d’auteurs situés à la frange du champ littéraire.

Bien qu’en marge du champ, les premiers romans occupent une place importante dans les stratégies éditoriales depuis le milieu des années 1990. C’est pourquoi Abensour et Legendre n’hésitent pas à parler de « phénomène du premier roman » (p. 23). L’étiquette « nouveau » devient même objet de marketing publicitaire tout au long de l’année. Entre 1995 et 2008, le nombre de premiers romans publiés par an a été multiplié par cinq. Par conséquent, contrairement à ce que l’on pourrait croire, les éditeurs prennent plus de risque à publier un second roman qu’un premier. L’éditeur Paul Otchakovsky-Laurens s’exprime à ce sujet : « [l]es premiers romans bénéficient d’un a priori favorable, de toute façon, la presse leur prêtera attention, et il n’y a donc pas vraiment de risque à publier un premier roman, alors que les difficultés sont les plus fréquentes avec les textes qui suivent » (p. 42). En effet, l’effervescence médiatique qui gravite autour du phénomène premier roman vient contrebalancer les risques éditoriaux, tout comme certains succès littéraires (Jean Rouaud, Amélie Nothomb et Marie Darrieussecq) tend à les relativiser.

Éclairer une zone d’ombre

La présente enquête vient donc combler un vide que l’on peut situer entre les travaux de Claude Fossé-Poliak [3] sur les auteurs à la frontière du champ littéraire et ceux de Nathalie Heinich [4] et de Bernard Lahire [5] consacrés aux auteurs « confirmés. Ces chercheurs se posent tous les mêmes questions, mais à des moments de vie auctoriale et éditoriale différents. Ainsi, Fossé Poliak interroge les conditions d’accès à la publication (comment entrer en littérature ?). La focale est alors posée au seuil du champ littéraire. Abensour et Legendre franchissent une étape supplémentaire et déplacent la focale à l’entrée du champ littéraire (comment gérer l’entrée en littérature ?). Quant à Lahire et Heinich, ils interrogent les conditions qui permettent à un auteur de se dire « écrivain » (comment se maintenir en littérature ?) et situent leurs propos au cœur du champ littéraire. En se penchant sur cette catégorie d’auteurs – à la fois floue et instable (les primo-romanciers) –, les deux spécialistes de l’édition mettent en lumière une partie du champ littéraire particulièrement structurante puisque située à son entrée, donc nécessaire. En effet, toute carrière de romancier a forcément débuté par cette première étape. Une idée majeure sous-tend ces différentes étapes : celle de processus. L’entrée en littérature procède à elle seule par étapes successives. Elle est le lieu d’une co-construction qui engage non seulement l’auteur mais aussi l’éditeur, le correcteur, le directeur de collection, l’agent littéraire (dans le monde anglo-saxon), sans oublier les médiateurs (journalistes) et les récepteurs (le public). Il y va donc d’une « fabrication » du primo-romancier pour reprendre le titre d’un ouvrage dirigé par Marie-Pier Luneau et Josée Vincent [6].

Legendre et Abensour livrent une étude inédite sur cette catégorie d’écrivains qui souffre de fréquentes disqualifications et stéréotypes ancrés dans l’opinion commune (les primo-romanciers sont généralement associés à un discours de l’échec). À travers cette étude, les deux chercheurs de l’université de Paris XIII entendent dépasser les opinions communes. C’est pour cette raison que l’ouvrage ne traite pas des conditions d’accès à la publication – souvent difficiles et déjà très largement étudiées – mais plutôt des choix stratégiques qu’opèrent un auteur lorsqu’il entre en littérature (choix d’un éditeur, choix ou non de la médiation et de la médiatisation), la façon dont il vit les étapes qui participent de cette entrée en littérature (confrontation avec la critique médiatique et publique), et la manière dont il envisage la poursuite de l’écriture.

Primo-romanciers et romanciers : quelles différences ?

Comme on pouvait s’y attendre, peu de choses distinguent les primo-romanciers des auteurs déjà confirmés et interrogés, par exemple, par Bernard Lahire ou Nathalie Heinich. Ils ont peu ou prou les mêmes caractéristiques socioculturelles et socioprofessionnelles. Ils ont été élevés dans un milieu propice à la découverte de l’écriture (socialisation scolaire et familiale) ou ont fait une rencontre déterminante qui les a poussés dans cette voie. Tous sont donc familiers du monde du livre et possèdent déjà un fort capital de connaissances littéraires. Pourtant, deux différences majeures les distinguent. Premièrement, il s’agit de leur approche des activités paralittéraires [7]. La lecture publique, les interventions en milieu scolaire ou en bibliothèques, la présentation et la signature en librairie sans oublier les salons du livre sont généralement perçus comme des marques de reconnaissance pour les primo-romanciers qui s’exposent pour la première fois à la vue du public. Ils constituent « une étape importante de la “professionnalisation” du romancier qui découvre un aspect déterminant de son “métier” d’auteur » (p. 103). De son côté, Lahire explique que ces activités, surtout si elles s’inscrivent dans un cadre local, sont parfois vécues comme un exercice fastidieux et chronophage par des écrivains confirmés. Les salons du livre sont en ce sens particulièrement exposés à la critique. Considérés comme de simples foires commerciales où l’auteur ne serait que le camelot de sa propre image, les salons les moins respectueux des logiques littéraires (les plus commerciaux) suscitent du mépris. A contrario, dans le cas des primo-romanciers, les salons participent à la construction de leur statut d’écrivain, même si « le voisinage avec des auteurs consacrés s’avère difficile » (p. 104). Une autre différence majeure entre les primo-romanciers et les professionnels se situe dans le rôle et dans la place qu’occupe le second métier [8]. Pour les primo-romanciers, ce dernier est d’ailleurs plus souvent premier que second. Tout d’abord parce qu’il précède chronologiquement l’activité d’écriture, ensuite parce qu’il est une ressource économique indispensable, enfin parce qu’il joue un rôle dans l’accès au milieu éditorial. En effet, les deux chercheurs démontrent avec finesse que les catégories socioprofessionnelles des primo-romanciers guident les parcours et les stratégies éditoriales. Il s’agit là de l’élément le plus convaincant de l’analyse, et le plus original vis-à-vis des travaux antérieurs. Soulignons que ce n’est pas la catégorisation à laquelle parviennent les auteurs qui est inédite. D’autres ont déjà montré que la plupart des écrivains occupaient par ailleurs des fonctions professionnelles dans l’enseignement, dans le journalisme, dans le secteur de la communication, dans celui du livre et dans le milieu artistique et culturel. L’intérêt de l’enquête réside sans conteste dans l’examen des stratégies de recherche d’éditeurs [9] déployées en fonction des catégories socioprofessionnelles auxquelles sont rattachées les primo-romanciers. On apprend donc que chaque catégorie opère des choix différents en fonction des représentations qu’elle a de la politique éditoriale française.

Les représentations de l’écrivain

Abensour et Legendre analysent avec pertinence les représentations que les primo-romanciers ont des politiques éditoriales en fonction de leurs caractéristiques socioprofessionnelles. Mais qu’en est-il des représentations qu’ils ont de la figure de l’écrivain elle-même ? Abordé à quelques reprises dans le livre, cet aspect mériterait d’être approfondi. Car il est surprenant d’observer que les primo-romanciers, bien qu’encore novices dans le champ et dans l’incapacité de se dire « écrivain » savent pourtant agir en tant qu’écrivain (stratégies de présentation de soi). L’héritage à la fois socioculturel et professionnel des primo-romanciers leur a non seulement imposé une représentation particulière de la politique éditoriale, mais aussi dicté des règles de « bonne » conduite en tant qu’écrivain (habitus auctorial). Analyser la façon dont ils pensent l’image de l’écrivain et l’entretiennent permettrait de mieux comprendre cette catégorie d’auteurs situés en marge du champ littéraire. Précisons à cet égard que l’imagerie traditionnelle associée à la figure de l’écrivain prend appui sur le mythe de l’écriture : elle est une vocation qui transcende l’individu, d’où une haute considération pour l’acte d’écrire (vision romantique). Rien d’étonnant donc à ce que les primo-romanciers ne fassent pas appel à des agents littéraires, à la différence de leurs homologues outre-Atlantique. En effet, l’agent revient à introduire un biais dans un régime d’autonomie littéraire : la dimension mercantile entre en opposition avec le monde de l’inspiration. Comme Bourdieu l’a démontré, cette dichotomie tend à diviser le champ littéraire entre grande production commerciale dans laquelle le livre est un produit éditorial et production littéraire issue du modèle romantique où l’œuvre est sacralisée et la figure de l’auteur surinvestie. C’est aussi en toute cohérence avec l’idéaltype de l’écrivain que la pratique des ateliers d’écriture (courante dans le monde anglo-saxon) est disqualifiée en France. Il est impossible d’apprendre à écrire puisque l’écriture est un don. Même le second métier peut en ce sens être vécu comme une frustration de la part des primo-romanciers. Le commentaire de Christian Chavassieux (primo-romancier) témoigne de cette figure de l’écrivain modelée et fixée dans les esprits : « L’écriture est un travail solitaire, monacal, laborieux. Il réclame le silence, la concentration […]. Franchement, si on a besoin de l’entraînement et du regard des autres pour écrire, c’est qu’on n’est pas écrivain. Autant faire du crochet » (p. 49). Aussi catégoriques que puissent paraître ces propos, il n’en demeure pas moins qu’ils correspondent parfaitement à l’idéaltype de l’écrivain. Roland Barthes explique que toutes les images arrimées à l’écrivain, lesquelles deviennent avec le temps de véritables stéréotypes (notamment celui de la solitude), sont historiquement datables et remontent – pour la plupart – au XIXe siècle. En effet, il situe vers 1850 le moment où « commence à s’élaborer une imagerie de l’écrivain-artisan qui s’enferme dans un lieu légendaire, comme un ouvrier en chambre et dégrossit, taille, polit et sertit sa forme, exactement comme un lapidaire dégage l’art de la matière, passant à ce travail des heures régulières de solitude et d’effort » [10]. Dans cette optique, prêter attention aux considérations des autres serait l’aveu de sa propre médiocrité.

Primo-romanciers et contrats d’édition

On comprend donc pourquoi les relations entre primo-romanciers et éditeurs ne sont pas toujours au beau fixe dans la mesure où la nature de leur relation repose sur un lien d’évalué à évaluateur. Pour mieux comprendre les mécanismes qui sous-tendent cette relation, un aspect non traité dans le livre mériterait d’être mis en lumière. En effet, il serait intéressant d’identifier et de catégoriser les différents types de contrats d’édition que signent les primo-romanciers. Il est fort probable que la nature des liens qui unit l’auteur à son éditeur dépende étroitement du type de contrat signé. S’agit-il d’un contrat d’édition ou contrat à compte d’éditeur, d’un contrat à compte d’auteur, d’un contrat de compte à demi [11] ou encore de l’autoédition ? Le premier cas – à compte d’éditeur – étant considéré comme la voie royale de la publication. À l’autre bout de l’échelle symbolique, l’autoédition ne passe par aucune structure éditoriale. L’auteur se charge seul de la diffusion et de la promotion de ses livres. Tout comme les primo-romanciers, les autoédités sont situés dans un espace flou et incertain. Non reconnus par les instances officielles, ils sont pourtant de plus en plus nombreux à revendiquer leur statut et leur droit d’entrée dans le champ littéraire. Cette dernière catégorie d’auteurs ne fait pas partie de l’échantillon de Corinne Abensour et de Bertrand Legendre, mais pourrait donner lieu à une nouvelle enquête et élargir la voie des études sur les pratiques d’amateurs.

L’entrée en littérature est vécue comme une succession d’étapes plus ou moins longues et difficiles. Plus on avance dans le processus, plus le nombre de « lauréats » s’amenuise. Le passage du premier roman au second semble, quant à lui, moins sélectif [12], mais ne garantit pas un maintien éternel à l’intérieur du champ. Le plus difficile ne serait donc pas d’entrer en littérature mais d’y rester. Pour faciliter cette entrée dans le champ littéraire et son maintien, les deux chercheurs abordent un point essentiel, celui des activités d’autopromotion prises en charge par les écrivains eux-mêmes. Il s’agit notamment des activités paralittéraires. Celles-ci font partie intégrante du champ tant leur nombre, leur médiatisation et leur importance se sont accrus ses trente dernières années. On pense notamment aux rencontres en milieu scolaire ou carcéral, aux salons du livre, aux séances de dédicaces en librairie qui, chaque weekend ou presque, font l’objet d’articles dans la presse locale et nationale. Ainsi, la sélection de ces activités paralittéraires est tout aussi significative que celle d’un éditeur. Les stratégies des écrivains-amateurs sont donc multiples et se manifestent à différents niveaux : édition, représentation et médiation.

par Adeline Clerc, le 12 septembre 2012

Pour citer cet article :

Adeline Clerc, « Sociologie du romancier débutant », La Vie des idées , 12 septembre 2012. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/Sociologie-du-romancier-debutant

Nota bene :

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Notes

[1Le champ littéraire anglo-saxon se différencie du français par la présence d’un maillon supplémentaire à la chaîne qui unit l’auteur, à l’éditeur et au lecteur. Il s’agit des agents littéraires. Dans 60 % des cas, c’est l’agent et non pas l’auteur qui détermine le choix de l’éditeur.

[2X. Greffe, 2007, Artistes et marchés, Paris, La Documentation française, p. 12.

[3C. Fossé-Poliak, Aux frontières du champ littéraire. Sociologie des écrivains amateurs, Paris, Économica, 2006.

[4N. Heinich, Être écrivain. Création et identité, Paris, La Découverte, 2000.

[5B. Lahire, La condition littéraire, la double vie des écrivains, Paris , La Découverte, 2006.

[6M-P. Luneau. et J. Vincent, (dirs), La fabrication de l’auteur, Québec, Éd. Nota bene, 2010.

[7À ne pas confondre avec la « périlittérature » ou la « paralittérature » qui désignent des formes littéraires populaires et communément opposées à la « grande littérature ». Les activités « paralittéraires » regroupent toutes les actions de promotion et de médiation littéraires qui suivent ou accompagnent l’écriture d’un livre.

[8N. Heinich, B. Lahire, et avant eux P. Bourdieu (Les règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris, Le Seuil, 1992) ont déjà insisté sur ce point.

[9Plusieurs critères permettant la sélection des éditeurs sont examinés : la politique éditoriale, l’intérêt pour la collection, la politique promotionnelle et enfin le réseau déjà constitué (l’auteur dispose-t-il d’un contact au sein d’une maison ?).

[10R. Barthes, Le degré zéro de l’écriture, Paris, Le Seuil, 1972, p. 50-51.

[11Le code de la propriété intellectuelle (CPI) distingue ces trois grands types de contrat d’édition.

[12Les auteurs précisent que 68 % des primo-romanciers qu’ils ont interrogés ont publié un second ou plusieurs autres romans.

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