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Recension Société

Penser la démocratisation scolaire

À propos de : La Pensée, « Penser et faire l’école », n° 357.


par Séverine Chauvel , le 11 novembre 2009


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À la croisée de la réflexion sociologique et de la proposition militante, la démocratisation scolaire est passée au crible de la réflexion critique dans le dernier numéro de la revue La pensée. Un état des lieux des divergences sur l’établissement d’une bonne distance entre l’institution scolaire et la société.

La Pensée, « Penser et faire l’école », n° 357, janvier-mars 2009

Le dernier numéro de La Pensée est consacré à la question politique de la démocratisation de l’Ecole en France, présente depuis la fin du XIXe siècle. La démocratisation scolaire prend naissance dans l’idéologie républicaine de la méritocratie, selon laquelle les individus ne devraient pas hériter mais mériter leur position sociale. Ainsi, les réformes visaient dès l’origine à la fois à augmenter taux et durée de scolarisation et à favoriser l’égalité des chances d’accès aux places. Si l’augmentation des chances d’accès à l’enseignement secondaire est avérée – on observe une augmentation du nombre de bacheliers de 5% en 1950, 29,4% en 1985 à 64,2% en 2007 –, elle reste liée à l’origine sociale des élèves. Selon les sources de l’Education Nationale, alors que 51% des enfants d’ouvriers entrés en 6e en 1989 accèdent au niveau du baccalauréat, 90% des enfants d’enseignants et de cadres l’atteignent. Au delà de la polémique sur l’usage idéologique du mot, qui désigne donc à la fois l’augmentation du nombre de places dans l’institution scolaire et la réduction des inégalités sociales, les dix contributions du dossier de La Pensée s’attachent à questionner différentes positions émises à gauche de l’échiquier politique. L’intérêt des différents textes rassemblés ici, outre le croisement souvent fécond des genres et disciplines – sociologiques, historiens et militants – est de penser ensemble théorie et pratique, et de prendre en compte le contexte social et politique contemporain.

Comment expliquer que l’école divise et produise de nouveaux clivages au sein des forces dites progressistes ? La perspective historique d’Antoine Prost analyse les débats entre pédagogues de la fin du XIXe siècle. Elle permet de saisir la dimension politique de la pédagogie et de rappeler le refus d’une partie de la gauche socialiste et communiste de prôner l’usage de nouvelles méthodes. On retrouve ces apparents paradoxes dans les résultats de l’enquête par questionnaire de Jérôme Deauvieau sur les pratiques enseignantes actuelles. Ni l’engagement politique ni l’ancienneté des enseignants ne constituent des variables explicatives de leurs choix pédagogiques face aux élèves considérés en difficulté. La mobilisation des enseignants se situe à « la jonction entre des convictions politiques et les conditions concrètes de travail ».

Si l’on déplace la focale sur les élèves, il parait opportun de questionner les effets des pratiques pédagogiques novatrices sur leurs apprentissages. Stéphane Bonnéry, en se basant sur des observations menées en classe de 6e, montre les effets pervers sur certains élèves des méthodes inductives préconisées par les textes officiels. Un autre travail de recherche empirique met en lumière les contradictions internes de la conception du travail des élèves aujourd’hui dans les établissements secondaires. Il constitue un véritable angle mort que la sociologue Anne Barrère définit par une « activité contrainte normée et organisée que fournissent les élèvent durant leur scolarité ». L’approche par le travail scolaire permet de montrer combien le rapport entre travail et réussite scolaire est opaque pour les élèves, alors que c’est la logique méritocratique qui prime.

Les contributions de ces trois sociologues permettent de bien saisir comment les politiques de démocratisation scolaire ont transformé les rapports entre enseignants et élèves, et, comme l’analyse Stéphane Bonnéry, l’exercice de la violence symbolique en sanctionnant les seconds sur leurs rapports aux apprentissages. Cette modalité de tri social constitue la contrepartie de la massification scolaire. Construite tout au long d’une carrière scolaire, cette sélection prend ainsi forme dans le processus d’orientation. La contribution de Pierre Roche permet précisément de critiquer, face au sentiment d’injustice des élèves au moment de leur orientation scolaire, les discours politiques de la « juste sélection », à partir d’articles de presse.

Dans quelles conditions l’Ecole unique pourrait-elle devenir réellement démocratique, dans le sens où elle permettrait de réduire les inégalités sociales ? Une réforme scolaire progressiste ne pourra pas advenir sans les enseignants, conclut Laurent Frajerman, dans son article qui porte sur « les tensions de la pensée progressiste sur l’école ». Guy Coq propose de « repenser l’institution et la culture scolaires », dans la mesure où, selon l’auteur, on assiste à une « désinstitutionalisation de l’école ». En effet, l’auteur fait le constat d’une crise de l’Ecole due à la tension entre logiques égalitaires et élitaires, où la première prend le pas sur la seconde. Pour une école qui soit une institution forte, il propose de revaloriser la « culture héritée ». On retrouve ici le thème du déclin de l’institution [1], déjà analysé par Lise Demailly [2] par exemple, en termes de transformation de l’institution en une organisation qui se réfère au marché du travail.

C’est ce que développe la contribution de l’auteur de L’école n’est pas une entreprise [3], Christian Laval. Celui-ci montre comment le système éducatif obéit à « la raison du marché », via un processus qui ne se réduit pas simplement à l’idée d’une marchandisation de l’éducation, mais s’explique par une combinaison de « management moderne, pédagogie nouvelle et conservatisme autoritaire ». Il propose « une politique volontariste d’égalisation concrète des conditions d’études entre enseignements » pour lutter contre la ségrégation scolaire, de « favoriser les pratiques coopératives et les logiques de solidarité », de « renforcer l’indépendance de la sphère de la connaissance vis-à-vis des intérêts économiques immédiats », et enfin de « remplacer les nouvelles formes de pouvoir managériales par des formes plus démocratiques de conduite des écoles ».

Ce programme de résistance au néo-libéralisme nécessite néanmoins une rupture avec une vision scolaro-centrée. Ceci implique que la transformation de l’Ecole ne se résume ni à une transformation des pratiques ni à celle de l’institution scolaire, et ne peut se penser sans la prise en compte du contexte social, parfois occulté dans ce dossier. En outre, les différentes propositions politiques avancées ici sont révélatrices des divergences parmi les contributrices et contributeurs, divergences dont l’analyse serait féconde.

La publication de larges extraits d’un discours prononcé par Paul Langevin le 7 décembre 1944 met en évidence l’écart entre le programme politique présenté dans ce document d’archive, et les orientations actuelles. Ce numéro entend donc participer au débat politique sur la démocratisation réelle de l’école, ce qui suppose en premier lieu d’interroger les usages qui sont faits du mot.

par Séverine Chauvel, le 11 novembre 2009

Pour citer cet article :

Séverine Chauvel, « Penser la démocratisation scolaire », La Vie des idées , 11 novembre 2009. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/Penser-la-democratisation-scolaire

Nota bene :

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À lire aussi


Notes

[1François Dubet, Le Déclin de l’institution, Seuil, Paris, 2002.

[2Lise Demailly, « Enjeux de l’évaluation et régulation des systèmes scolaires », Evaluer les politiques éducatives, De Boeck Université, 2001.

[3Christian Laval, L’école n’est pas une entreprise, La Découverte, 2003.

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