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Selon Stéphane Michonneau, le catalanisme n’a rien d’un sécessionnisme. Les Catalans n’ont jamais cessé de vouloir participer à la construction de l’État libéral, n’invoquant le séparatisme que par opportunisme. Dissociant l’État et la nation, le catalanisme pourrait représenter un modèle pour l’ère du post-nationalisme.

Le catalanisme n’est pas un sécessionnisme. Dès sa naissance à la mi-XIXe siècle, le catalanisme a pris des contours presque définitifs qu’il n’est pas difficile de déceler aujourd’hui : il est essentiellement une pensée de réforme de l’Espagne et une tentative de conquête de l’État libéral alors en construction. Autrement dit, le catalanisme considère la Catalogne comme une sorte de Piémont-Sardaigne espagnol dont le destin est d’agréger différentes régions péninsulaires et ultramarines pour recomposer autour d’elle un nouvel État. Cependant, à l’exception de rares moments où pour des raisons politiques particulières le pouvoir central s’affaiblissait (révolution de 1868, proclamation de la Première République en 1873 puis de la seconde en 1931 par exemple), ce projet a échoué. Le catalanisme fait donc de la Catalogne une Prusse qui aurait éternellement échoué à créer l’Allemagne en 1871.

Origines bourgeoises et réformistes

Ce projet de refondation suit avec une constance déconcertante les mêmes quatre lignes directrices depuis le XIXe siècle et le catalanisme politique surgi en 1894 ne change pas grand-chose à ce contenu. Un célèbre historien, Josep Fontana, l’a qualifié d’industrialiste : par ce terme, il désignait un plan qui dépasse de beaucoup les simples objectifs économiques que l’expression laisserait entendre. Certes, les élites catalanes poursuivaient au XIXe siècle la défense des intérêts industriels dans un pays largement dominé par une économie rurale. La Catalogne a connu une révolution industrielle aussi précoce que le nord de la France et l’Angleterre et Barcelone fut longtemps considérée comme une Manchester espagnole. La conquête du marché intérieur et le protectionnisme furent deux des principaux éléments autour desquels se tissèrent des réseaux sociaux denses parmi la bourgeoisie catalane. Ces thèmes fédérateurs purent rencontrer un écho favorable parmi certains cercles espagnols, notamment les négociants de Cadix ou de Bilbao, mais ils n’emportent que rarement l’assentiment des élites qui dominent l’État et dont les intérêts sont guidés par la production agricole ou minière. L’industrialisme a donc accouché d’une société dominante aux mœurs singulières et aux comportements endogamiques. La culture qu’il engendre est imprégnée d’un système de valeurs qui rappelle celui des industriels mulhousiens ou lyonnais. Elle est dans son expression culturelle volontiers ruraliste et passéiste.

Deuxièmement, – et le lien avec la première proposition saute aux yeux –, les élites catalanes sont passionnément impérialistes : elles sont les premières à financer les aventures coloniales de l’Espagne, qui sont nombreuses au XIXe et au XXe siècle, contrairement à un préjugé bien ancré qui ferait des indépendances américaines, au début du XIXe siècle, le chant du cygne de l’expansionnisme ibérique. À Cuba, aux Philippines puis, à partir de 1860 au Maroc dans une moindre mesure, les riches familles barcelonaises ont des participations massives, à tel point que Cuba a pu figurer comme une colonie catalane. Ne perdons pas de vue que c’est à Barcelone, en 1888, que fut construit le plus grand monument jamais érigé en l’honneur de Christophe Colomb : au sommet de la colonne métallique qui le porte, le découvreur pointe du doigt la Méditerranée, geste qui incarne parfaitement les idéaux impérialistes de Barcelone.

Troisièmement, le projet de réforme de l’Espagne est anti-centraliste. Au XIXe siècle, Barcelone s’imagine représenter l’ultime bastion d’une tradition politique espagnole libérale qui remonterait aux temps les plus anciens de l’histoire de la péninsule. La liberté est locale et se serait trouvé naturellement incarnée dans les institutions médiévales : à cette époque, la Couronne d’Aragon qui se composait de nombreuses entités territoriales lâchement reliées entre elles (l’Aragon actuel, le Principat de Catalogne, les Baléares, les Pays valenciens, des possessions méditerranéennes) aurait parfaitement incarné cet idéal d’unité dans la diversité et le respect des autonomies de ses parties. C’est ce modèle d’État composite que les élites catalanes défendent rageusement, ce qui revient à revendiquer pour Barcelone un statut de capitalité au moins égal à Madrid. Cet État composite qui impliquerait une forme de fédéralisme (ce n’est pas pour rien que le principal théoricien du fédéralisme politique du XIXe siècle est un Catalan : Francesc Pi y Margall), pourrait non seulement recomposer l’Espagne mais, au-delà, un vaste État ibérique qui comprendrait le Portugal. Les possessions ultramarines entreraient aussi dans le jeu : autrement dit, l’impérialisme catalan n’est pas un colonialisme qui implique l’établissement d’une relation de domination entre une métropole et une colonie. C’est cette vision plurielle de l’unité qui fonde la revendication principale du catalanisme, sans que ce dernier, on le comprend, rime avec sécessionnisme : c’est même exactement le contraire.

Enfin, dernière caractéristique du projet de réforme de l’Espagne, une partie des élites catalanes défendent le catholicisme à tout crin : c’est le poids du légitimisme politique – dénommé en Espagne du nom de carlisme – qui est en cause. La vision eschatologique du catholicisme est ici virulente, et la religion y est moins baroque et extravertie que mystique : Gaudí est à l’image de ce catholicisme ultra et son œuvre ne peut être saisie sans prendre en compte l’extrême mysticisme de son auteur. Mais cette religiosité va de pair avec la défense d’un modèle social hiérarchisé, autoritaire et holiste, où la valeur de la communauté peut l’emporter sur celle de l’individu. De manière générale, la société est conçue selon le modèle réinterprété d’une société d’Ancien Régime où les corps autonomes de la société, dotés de privilèges et de droits propres, se juxtaposent et s’imbriquent, seulement reliés entre eux par un principe d’unité patriotique. On pourrait qualifier ce modèle de la communauté de « républicain » au sens de res-publica, c’est-à-dire un ensemble où chacun assume l’unité « ensemble mais aussi séparément » et « sans qu’aucun corps puisse l’incarner tout entier » [1]. C’est pourquoi la société catalane est dans son essence vieille chrétienne.

Pour une large partie de ces élites, l’État espagnol serait né d’une alliance contre-nature entre la Couronne d’Aragon et la Couronne de Castille, par le mariage des Rois catholiques en 1469. Son développement ultérieur fut fondé sur une tromperie qui mit à bas tous les principes inspirant la vision politique et sociale des Catalans, car il se confondit avec la centralisation. Mais de plus, il coïncida rapidement avec l’arrivée sur le trône d’Espagne de dynasties étrangères profondément étrangères au génie national : les Habsbourg d’abord depuis 1516 puis les Bourbons depuis 1700. Dans la vision très particulière que Barcelone a du passé de la péninsule, ces dynasties ont importé un principe de centralisation étranger à la tradition des peuples ibériques et ont contribué à dénaturer l’Espagne : seule la Catalogne a su préserver cette tradition dans le présent. Autrement dit, – c’est un trait partagé avec les Basques –, les Catalans se vivent sur le mode de l’exceptionnalité : ils sont les derniers vrais Espagnols. C’est dire combien le sécessionnisme est éloigné de leurs esprits.

La Renaixença, que la tradition nationaliste tend à assimiler aux premiers pas du nationalisme catalan, est en fait l’affirmation jalouse de ce particularisme provincial de nature foncièrement espagnole. Il passe à partir des années 1840 par la promotion de la langue catalane et la constitution d’un marché culturel clos où l’intelligentsia locale se protège de la concurrence qu’implique une castillanisation en profondeur de la culture populaire. Il implique une entreprise de normalisation culturelle qui reprend des traits de la culture populaire catalane pour l’homogénéiser, la standardiser, la normaliser selon les critères des classes dominantes, bourgeoises et urbaines. Barcelone s’impose à cette époque comme le grand creuset de cette nouvelle culture nationale qui donne sa coloration si singulière à la Renaissance. Mais si le pluralisme culturel tend à croître, il n’implique nullement l’affirmation d’un projet politique nationaliste différent de celui du reste de l’Espagne : le provincialisme exalte la différence catalane, mais les Barcelonais n’abandonnent pas leur prétention à participer activement à la construction de l’État libéral.

Une autre conséquence importante est le rapport particulier que la Catalogne entretient avec la modernité : la précocité de la révolution industrielle, la force de la bourgeoisie, l’organisation et la politisation de sa classe ouvrière ont longtemps rapproché cette région de configurations historiques propres au nord de l’Europe. De même, la forte influence française fait de la Catalogne la porteuse d’idées avant-gardistes et, en tout cas, le point de passage en Espagne de beaucoup de courants intellectuels et artistiques venus du nord. On cite souvent le wagnérisme du public barcelonais comme exemple de cette sensibilité à la nouveauté. Le culte de la modernité est devenu une seconde nature de Barcelone. Périodiquement, la ville s’est lancée vigoureusement des défis de modernité qui proclamait au monde sa pleine et entière participation à l’Europe développée et rassurait aussi : 1888 et l’Exposition Universelle, 1929 et l’Exposition Internationale, 1992 et les Jeux Olympiques, 2004 et le Forum des Cultures. À noter que ce goût pour la modernité a pour corollaire un net rejet de ce qui pourrait identifier la Catalogne au reste de l’Espagne, jugé arriéré et archaïque. À Barcelone, on se vit comme appartenant à un morceau d’Europe et pas strictement comme péninsulaire. Toutefois, ce modernisme militant contraste fortement avec une culture bourgeoise volontiers ruraliste et conservatrice : c’est que la révolution industrielle a engendré en Catalogne une classe travailleuse nombreuse, organisée et politisée. La lutte des classes féroce qui s’engage alimente des tensions sociales et politiques très fortes qui font de Barcelone la « Rose de feu » de la fin du XIXe siècle. Sur un plan culturel, le modernisme est ici une solution pour tenter de fuir la conflictualité sociale extrême et ressouder les populations divisées derrière un projet commun. Sur un plan politique, le catalanisme remplit la même fonction intégratrice, principalement porté par des classes moyennes inquiètes : il est donc une réponse locale à des problèmes spécifiques que le reste de l’Espagne ignore totalement.

Du régionalisme au nationalisme

Le catalanisme tel qu’on le connaît aujourd’hui est né à l’orée du XXe siècle : il appartient à une vague de nationalismes qui éclosent un peu partout à cette époque, au nord (Norvège), au centre (Tchécoslovaquie, Pays baltes), au sud (Yougoslavie, Pays basque) et à l’ouest de l’Europe (Irlande, sionisme). Au XIXe siècle, la catalanisme est un régionalisme qui ne diffère pas d’autres mouvements du même type qui affirment la personnalité culturelle régionale sans remettre en cause l’attachement à la nation espagnole. On sait désormais que l’amour des « petites patries » est la traduction locale du sentiment national global [2]. En Catalogne, le catalanisme qui se développe vers la fin des années 1830 ne fait pas exception à la règle : il est une forme originale de l’espagnolisme (comme l’a montré Fradera). Le problème qui se pose alors est de comprendre comment un régionalisme put se transformer en un nationalisme propre, vers 1900 : la réponse à cette question épineuse réside dans ce que nous avons défini comme les quatre pans du réformisme barcelonais. Dès lors que les élites catalanes considérèrent majoritairement que l’État espagnol était incapable de répondre aux objectifs qu’elles poursuivaient assidûment, elles se détachèrent de lui et se rangèrent à l’idée d’un État propre qui serait plus efficacement au service de leur projet. La goutte d’eau qui fit déborder le vase fut, en 1898, la perte de l’empire colonial cubain et philippin face aux États-Unis. Preuve semblait faite de ce que l’État espagnol serait à jamais incapable de défendre le projet industrialiste pris dans son sens général.

D’emblée, cette nouvelle résolution entrait en contradiction avec l’élan franchement espagnoliste du catalanisme : comment concilier construction d’un État propre et volonté de réforme de l’ensemble de l’Espagne ? La réponse fut élaborée en 1906 par un jeune politicien de talent, Enric Prat de la Riba qui, dans un ouvrage intitulé La nacionalitat catalana, engagea la Catalogne dans la voie de l’autonomie politique au sein de l’État espagnol, au nom d’une conception qui reniait l’existence d’une unique nation espagnole, mais soutenait que plusieurs nations (la catalane, la basque, la castillane, etc.) pouvait coexister sous un chapiteau commun (l’État espagnol). Deux remarques d’importance : d’une part, ce projet, né sous les auspices du conservatisme, fut loin de convaincre la totalité des Catalans. Les Catalanistes représentèrent longtemps une minorité exaltée qui était recluse dans les cercles étroits de la bourgeoisie moyenne urbaine, barcelonaise au premier chef. La haute bourgeoisie et les classes populaires demeuraient foncièrement attachées à la nation espagnole, soit sous la forme du monarchisme pour les premières, soit sous la forme du républicanisme pour les secondes. L’histoire du catalanisme politique au cours de la première moitié du XXe siècle est donc celle de l’histoire de la conquête des masses, au moment où partout en Europe s’imposaient de nouveaux instruments de mobilisation des foules politiques. Le catalanisme sut parfaitement profiter de ce renouveau de la politique qui rimait le plus souvent avec la démocratisation de la parole politique. Dans les années 1910, les classes moyennes étaient gagnées à la cause catalaniste et dans les années trente, une partie de la classe ouvrière. Paradoxalement, l’établissement d’une dictature militaire entre 1923 et 1930, qui lutta ardemment contre toute forme de manifestation catalaniste, aida beaucoup à la popularisation des thèmes nationalistes.

D’autre part, il faut souligner que le catalanisme, né à droite, touche rapidement l’ensemble du spectre politique : d’un côté, le catalanisme sait se rallier les cercles carlistes qui étaient nombreux dans la Vieille Catalogne pyrénéenne en intégrant quelques-uns des thèmes qui le structuraient, comme la défense du catholicisme. D’un autre côté, le catalanisme sut gagner à sa cause une partie des foules républicaines, ce qui lui assura une présence à gauche dès 1904. La naissance de la gauche catalaniste, l’Esquerra, fut rendue possible par la survivance d’une caractéristique très singulière du républicanisme à Barcelone, principal bastion de cette idéologie en Espagne : le fédéralisme. En effet, le républicanisme barcelonais a très tôt professé un strict fédéralisme qu’il parvint à imposer éphémèrement en 1873 lorsque la Première République espagnole fut proclamée. En dépit de l’échec de ce régime, qui fut renversé une année plus tard par le retour au pouvoir des Bourbons, la sensibilité fédéraliste demeura intacte : après 1900, elle se conjugua assez aisément au catalanisme politique qui réclamait l’autonomie. À la différence notable du nationalisme basque qui demeura confiné à un parti nationalisme isolé dans la société locale, le catalanisme, divers et contradictoire, devint rapidement une grille de lecture commune à des mouvements politiques venant d’horizons politiques différents. Aujourd’hui, et contrairement à une perception erronée, tous les partis politiques en Catalogne sont catalanistes, quand bien même cela se manifesterait sur un mode mineur, comme le Parti Populaire aux accents opportunément régionalistes.

Comment le catalanisme parvint-il à plier l’ensemble de la société catalane à sa raison politique ? La réponse se trouve à Barcelone, véritable laboratoire du mouvement. Au moment où le paradigme nationaliste catalaniste naît, la cité est majoritairement républicaine, fait remarquable si l’on tient compte de la force de la Restauration monarchique qui, en 1875, remit un Bourbon sur le trône. Certes, le républicanisme du début du XXe siècle n’est plus celui des pères fondateurs de la Première République et il a pu, à certains égards, s’accommoder de la monarchie. En réalité, en dépit d’une forte implantation populaire et ouvrière, le républicanisme politique est en crise : il ne tarde pas à se scinder entre un pôle catalaniste, surtout implanté dans les petites classes moyennes barcelonaises, et une majorité espagnoliste, puissamment implantée dans les milieux populaires et qui flirte avec un populisme mâtiné de personnalisme incarné par son chef charismatique, Alexandre Lerroux. Quoi qu’il en soit, les divisions du mouvement républicain font le lit du catalanisme qui parvient à conquérir la municipalité de Barcelone et à construire un pseudo-État catalan, la Mancomunitat de Catalunya, à partir de 1914. L’appareil symbolique déployé dans la ville par les catalanistes de tous poils est significatif d’un tournant dans la lecture du passé de la ville et de la région : au XIXe siècle, noms de rue et statues proclamaient les valeurs du régionalisme qui, comme on l’aura compris, cultive une singularité en Espagne mais au nom de l’Espagne. À partir de 1906, les symboles défendent une conception fort différente qui fait de la Catalogne une nation et de l’Espagne un État composé de nations : l’espagnolisme perd la partie. Or, à cette époque, le jeune roi Alphonse XIII a résolument lié les destins de la monarchie à celui du nationalisme espagnol, quitte d’ailleurs à l’abandonner entre les mains des militaires à partir de 1917. Ainsi, l’expulsion des référents espagnolistes de Barcelone implique une fragilisation de la Monarchie qui s’était liée à lui par la volonté du monarque.

C’est dire qu’à Barcelone, si le consensus nationaliste se consolide de jour en jour dans la Barcelone d’avant la Guerre civile, le consensus monarchiste reste fragile : le catalanisme de gauche, l’Esquerra, continue de prêcher la république et le catalanisme conservateur maintient un silence poli que l’on a qualifié d’accidentaliste : pour ces derniers, peu importe le régime en Espagne pourvu que l’autonomisme s’impose. Lorsque la monarchie aux abois finit par appuyer l’option d’une dictature militaire en 1923, l’absence de consensus se changea en une franche hostilité. En effet, le dictateur Primo de Rivera résolut d’accuser le catalanisme de tous les maux de la nation et poursuivit toutes ses manifestations politiques et culturelles : suspension du Football Club Barcelona (le fameux « Barça »), interdiction de danser la sardane, dissolution de nombreuses entités culturelles, etc. Les années 1920 sont au cœur d’un double mutation : non seulement le catalanisme conquiert les masses mais de plus, l’option de gauche prend le pas sur l’option conservatrice jusqu’à présent hégémonique. En 1931 triomphe à Barcelone une nouvelle coalition d’Esquerra, ERC, fondée par Francesc Macià.

Francesc Macià est un indépendantiste catalan : à Barcelone, il existe en effet un courant indépendantiste très minoritaire depuis 1915-1916. Ce courant est né, sous influence des diasporas catalanes d’Amérique, notamment cubaines, d’un double constat : d’une part, la recherche de l’autonomisme est vouée à l’échec dans le cadre de la monarchie de la Restauration ; d’autre part, la configuration de la nouvelle Europe sortie des 14 points de Wilson et des Traités de Versailles est favorable à la reconnaissance des « petites nations » (songeons à l’Europe centrale) : mais voilà, l’Espagne n’a pas participé à la Première Guerre mondiale et l’on voit mal pourquoi Wilson imposerait à l’Espagne le principe de l’autodétermination comme il le fit pour l’Empire austro-hongrois. Ceci explique que l’indépendantisme ait un écho réduit, pour ne pas dire nul, jusqu’à ce que la dictature soit proclamée : la politique de Primo de Rivera offrit alors à un indépendantisme moribond une planche de salut. Macià qui s’évertua à fomenter des soulèvements militaires au début des années 20 finit par fonder un nouveau parti : Esquerra Republicana de Catalunya. Alors même que le régime monarchique vacillait à Madrid, Macià proclama à Barcelone la République catalane. Il finit par admettre l’intégration de la Catalogne dans la Seconde République proclamée le 14 avril, à la condition sine qua non que cette dernière bénéficie d’un statut d’autonomie étendu. C’est ce qui fut fait en 1932 avec la naissance de la Generalitat après que la constitution de 1931 a reconnu l’existence d’un « État composite ». On a là l’une des raisons de l’attachement des Barcelonais pour la République à l’heure des grands périls.

Sous le franquisme : légendes et réalité

Comme on sait, la Guerre civile n’est pas un conflit lisible en terme national, ni en Catalogne, ni au Pays basque. Par contre, la rhétorique nationale et républicaine abusèrent de l’image d’une nation espagnole attaquée par un ennemi extérieur, le communisme soviétique pour les uns, le fascisme italo-allemand pour les autres. À Barcelone, le coup d’État du 18 juillet 1936 sonne le glas de l’ordre étatique : les ouvriers prennent le pouvoir et organisent un contre-pouvoir que la Generalitat a le plus grand mal à réduire (« faits d’octobre » 1937). Il est clair que la Guerre civile divise chaque camp politique, notamment le catalanisme conservateur qui ne sait à quel saint se vouer. À Barcelone, le catalanisme n’est pas le dénominateur commun qui permet aux anarchistes, aux républicains catalanistes et aux communistes de lutter ensemble : c’est l’antifascisme qui sert de ciment. Pour autant, la défense du catalanisme n’a pas peu joué dans la mobilisation de certaines couches de la population qui savent bien qu’une victoire franquiste signifierait l’annihilation de toute revendication catalaniste. Cependant, il faut comprendre que la Guerre civile a conduit à une remise en cause radicale de la domination des forces sociales jusqu’alors hégémoniques. Si l’État républicain ne parvient pas à rétablir un ordre public qui leur soit favorable, certaines élites préfèrent la paix franquiste qui leur garantit un ordre social, économique et religieux traditionnel, fût-ce au prix de l’abandon de toute revendication catalaniste sur un plan politique et culturel. C’est ce pacte diabolique qui permit à Franco d’établir une autorité politique dans les années 40, tout en débarrassant la bourgeoisie catalane d’une contestation ouvrière qui l’avait toujours gênée. Quant aux élites républicaines issues des classes moyennes, elles furent décapitées par la répression et l’exil.

Pas plus que le consensus monarchiste entre 1900-1930, le consensus sur lequel le franquisme a bâti son ordre à Barcelone n’est à l’épreuve des balles. Différents courants sapent les fondements du régime : un courant monarchiste qui voit dans Jean de Bourbon, le père de Juan Carlos, une solution libérale acceptable ; un courant catholique qui s’offusque de l’état de misère des populations ouvrières et de la croissance des bidonvilles, un courant catalaniste conservateur qui réveille les anciennes marottes, et bientôt des courants d’opposition de gauche qui recrutent parmi les ouvriers et les étudiants. Il flotte à Barcelone pendant les années du franquisme un air de liberté que l’on ne trouve nullement ailleurs, notamment à Madrid où s’exerce directement le pouvoir de contrainte. Si l’anti-franquisme est à même de jouer un rôle fédérateur, il ne s’articule pas nécessairement au catalanisme : la greffe a lieu au cours des années 1960 parce que le catalanisme a choisi d’enfourcher le cheval de bataille de la démocratisation du pays. En 1966, une plate-forme de combat réunit toutes les forces politiques antifranquistes sous la bannière d’un catalanisme rénové. En ayant changé de contenu, le catalanisme a su épouser la cause démocratique et s’est sauvé : c’est dire qu’on ne peut impunément assigner au catalanisme un contenu politique précis mais qu’il faut plutôt y voir un cadre stable dans lequel toute expression politique est amenée à s’exprimer. Une opération habile a consisté à faire du catalanisme une victime du régime alors même qu’une partie des catalanistes avait fait le choix de favoriser Franco. La répression culturelle sauvage dont la culture catalane était l’objet permit certainement de renforcer cette lecture : en effet, les catalanistes revendiquent le monopole de la totalité des expressions culturelles en Catalogne. Cette prétention, qui est infondée, – il existe bien d’autres expressions de la culture catalane qui ne s’inscrivent pas dans le cadre catalaniste, notamment la culture anarchiste ! –, est toutefois acceptée par une majorité qui finit par confondre « catalaniste » et « catalan ». Ainsi, la mue du catalanisme s’apparente à un coup de bluff réussi qui permet aux catalanistes de s’afficher en représentants naturels de la communauté attaquée par un régime forcément étranger aux traditions locales. Le diable est à Madrid.

Fort de l’élan culturel qui le supporte, le catalanisme s’impose donc à nouveau au cœur de la vie politique avant même la mort de Franco en 1975. La transition démocratique ne peut qu’entériner sa renaissance et elle le fait d’autant plus facilement que la conversion démocratique du catalanisme chrétien paraît sincère. Le soutien et la participation des catalanistes au processus de démocratisation de la société politique a naturellement un prix, le même qu’en 1931 du reste, c’est-à-dire la garantie d’un statut d’autonomie. Celui-ci est octroyé en 1980 sur la base d’une constitution adoptée en 1978 qui reconnaît l’existence de nationalités historiques à l’intérieur de la nation espagnole. L’article 2 introduit une distinction qu’il est difficile à comprendre pour un Français : celle entre nation et peuple. En effet, la nation espagnole est une construction juridico-constitutionnelle, un corps collectif doté de souveraineté, alors que les peuples qui composent l’Espagne sont des collectivités sociologiques et culturelles, formées par des populations aux caractéristiques propres. L’unité de la nation est donc parfaitement compatible avec la reconnaissance des peuples d’Espagne.

Une erreur commune est de considérer que la constitution espagnole est fédérale : l’État des autonomies se situe, certes, dans le mouvement général qui, depuis 1945 en Europe, va dans le sens d’une fédéralisation des pouvoirs. Mais le cas espagnol garantit constitutionnellement une forme de décentralisation d’un État préalablement unitaire, ce qui est très différent des États fédéraux qui sont formés d’unités préalablement indépendantes (Allemagne, Suisse, États-Unis). De plus, l’Espagne est un État où il existe une affirmation subnationale dissymétrique (le Pays basque ou la Catalogne mais pas l’Estrémadure) alors que les États fédéraux sont uni-nationaux et symétriques. On peut ajouter que la constitution ne reconnaît pas la double nationalité (catalane et espagnole, comme le faisait la constitution soviétique par exemple) et que la nationalité est territoriale et non pas individuelle (comme au Canada par exemple). Finalement, l’Espagne n’est pas fédérale parce que les gouvernements autonomes ne sont pas associés à l’exercice du pouvoir central [3].

L’autonomisme des catalanistes conservateurs l’emporte aux élections autonomiques et Jordi Pujol, nouveau président de la Generalitat, impose à son pays un objectif de recouvrement de la nationalité catalane très conservateur pendant 24 ans. Pujol n’a en rien changé les fondements de la revendication catalane : sans défendre un fédéralisme stricto sensu, il a une lecture singulière de la constitution qui l’autorise à renforcer sans cesse le pouvoir de sa communauté autonome. En effet, du point de vue catalaniste, la constitution fait de l’Espagne un État plurinational mais du point de vue espagnoliste, la constitution fait de l’Espagne un État-nation pluriel. Industrialisme, autonomisme, conservatisme culturel, défense de l’identité posée en terme essentialiste, catholicisme affirmé, pulsion xénophobe anti-espagnole et même anti-immigrés composent le cocktail de cette indéniable réussite politique. Le catalanisme de gauche, qui n’avait pas peu participé à la démocratisation du régime, se retrouve émasculé, forcé de penser la nation catalane dans les termes que le pujolisme lui impose au niveau local, et prisonnière d’un complexe de « filiale » que le PSOE lui impose au niveau national.

Et l’indépendantisme ? Il est absent du paysage politique catalaniste et catalan pendant toute la transition démocratique. Il existe bien une nouvelle ERC dans les années 90, bien pâle imitation de son ancêtre, qui oscille entre républicanisme et indépendantisme. Environ 12% de l’électorat catalan lui reste fidèle, en partie pour des raisons de fidélité historique, en partie parce que ERC cristallise un mécontentement radical sur les conditions de la transition démocratique. S’il est limité, ce vote est assez considérable pour empêcher la gauche catalaniste vouée à l’autonomisme de remporter la Generalitat. Il est aussi significatif de la persistance d’un malaise qui, encore une fois, fait du consensus constitutionnel en Catalogne une chimère. C’est une différence notable d’avec le reste de l’Espagne, Pays basque mis à part.

Le retour de l’indépendantisme

Mais alors, d’où provient la montée en puissance de l’indépendantisme à laquelle assiste récemment en Catalogne et qui a fait les gorges chaudes de la presse internationale le 13 septembre 2009 ? Comme on sait, l’indépendantisme se nourrit conjoncturellement de la frustration qu’a générée le débat sur l’octroi d’un nouveau statut autonomique et son éventuel rejet pour inconstitutionnalité. La polémique a porté sur l’introduction d’une mention à la « nation catalane » dans le projet de Statut autonomique en 2004 qui paraissait contradictoire avec la constitution qui ne reconnaît l’existence que de la nation espagnole. Le catalanisme défendait là une vision singulière qui ferait de l’Espagne une « nation de nations », un parti pris que partagent les andalousistes qui introduisirent l’idée d’une nation formée de « réalités nationales ». C’est donc la troisième fois au cours du XXe siècle que cette option politique pointe, alors que le cadre imposé par le catalanisme est défavorable à son expression. En effet, comme on a vu, le catalanisme dans son expression moderne reconnaît la constitution de 1978 qui rejette le droit à l’autodétermination. Plusieurs réponses peuvent être avancées pour rendre compte de ce phénomène.

1/ D’abord, historiquement, l’indépendantisme qui vise à affirmer une souveraineté n’est pas synonyme de sécession. Les sciences politiques ont montré que l’indépendantisme suppose naturellement une affirmation de souveraineté mais n’implique pas nécessairement un projet de construction d’un État séparé. C’est parce que l’on est habitué à penser le nationalisme dans le cadre de l’État-nation qu’on s’empêche de cerner une nuance pourtant fondamentale. En pratique, à chaque fois qu’une force politique se revendiquant de l’indépendantisme est parvenue en Catalogne à un certain degré de responsabilité global, régional ou national, elle a abandonné la perspective électoralement attrayante du séparatisme pour lui préférer une négociation avec l’État central. C’est dire que le séparatisme est une menace dont les indépendantistes se saisissent pour mieux négocier l’augmentation du niveau de l’autonomie politique, répondant ainsi à un projet très ancien. Ces groupes sont aidés dans leur stratégie par la méconnaissance que les autres Espagnols ont du catalanisme qui les a toujours conduits à assimiler le nationalisme catalan au séparatisme, en dépit de toutes les évidences.

2/ Ensuite, l’indépendantisme est surtout le symptôme d’une crise du catalanisme autonomiste largement hégémonique. En 1918 déjà, l’indépendantisme se nourrit d’une crise parlementaire au cours de laquelle les députés catalanistes menacèrent de reconstituer à Barcelone un nouveau parlement espagnol. Cette tentative vouée à l’échec alimenta la crise de l’autonomisme professé par le catalanisme conservateur au pouvoir. Une campagne autonomiste fut alors lancée pour ne pas perdre le contrôle de l’électorat frustré de réformes : mais l’imposition de la co-officialité du catalan échoua une fois encore. L’impasse politique de l’option autonomiste explique la poussée de l’indépendantisme, un succès que brisa net l’instauration d’une dictature en 1923. Il ne fait pas de doute qu’aujourd’hui, l’autonomisme politique défini dans les années 1980 est en crise : la frustration s’accumule et la constitution de 1978 est de plus en plus considérée par certains secteurs de l’opinion publique catalane comme un carcan qui empêche l’évolution du Statut. Une sentence défavorable du tribunal constitutionnel pourrait avoir de fâcheux effets sur le vote de classes moyennes déboussolées par les échecs patents du gouvernement local à résoudre des problèmes du quotidien (transport public, alimentation électrique, excellence scolaire, désindustrialisation).

3/ Troisièmement, l’indépendantisme est moins une option politique stable dans l’opinion publique qu’une étape dans la formation politique de tout jeune catalan [4]. L’indépendantisme peut être assimilé à une déviance au sens sociologique du terme, ce qui suppose un apprentissage et une carrière : apprentissage de valeurs communes dans des cénacles fermés, expressions et mode d’action radicaux (le mouvement de squatters Okupa en est un exemple). Il propose donc à la jeunesse une forme locale et radicale de politisation qui n’est guère différente de celle offerte par l’anarchisme ou d’autres mouvements d’extrême gauche dans d’autres sociétés. Si ce radicalisme épouse volontiers un discours de provocation (les portraits du Roi brûlés en place publique), il n’a pas en Catalogne le caractère violent qu’il peut avoir au Pays basque. Il faut noter également qu’il débouche le plus souvent sur une expression politique modérée du catalanisme lorsque le jeune catalaniste s’assagit.

4/ Quatrièmement, l’indépendantisme s’exprime aujourd’hui par un vote à ERC qui est largement un vote de contestation. Mais ERC, comme son nom l’indique, n’est pas seulement une force de l’indépendantisme : c’est aussi et surtout une force du républicanisme. Ainsi, il est difficile d’interpréter les succès de ce parti car en Catalogne, les querelles mémorielles autour de la réparation des victimes du franquisme, et le victimisme dans lequel le nationalisme pujolien a enfermé les Catalans, ont ravivé une opinion républicaine qui avait disparu du paysage politique. Les néorépublicains affichent une nostalgie passéiste pour la Seconde République, en toute chose magnifiée sans discernement, et ils professent paradoxalement un ensemble de valeurs antilibérales et antieuropéistes qui sont à contre-courant de l’héritage républicain espagnol. Depuis les manifestations contre la guerre en Irak, les drapeaux tricolores de la République ont ressurgi, mais pas seulement à Barcelone. C’est bien encore la faiblesse du consensus constitutionnel qui est ici en cause, d’autant plus que la droite espagnole s’est saisie du patriotisme constitutionnel comme d’une nouvelle bannière.

5/ Enfin, l’indépendantisme n’exprime pas seulement et confusément une crise de confiance en l’État espagnol tel qu’il fut bâti en 1979 : il est aussi la manifestation d’une inquiétude, partout perceptible en Europe, concernant l’avenir des institutions européennes. Si le catalanisme pujolien a clairement articulé le nationalisme catalan à l’européisme alors en vogue dans le reste de l’Espagne, c’est principalement au nom d’une Europe des régions dont il défendait la vision : à preuve, la direction qu’il assuma de l’Assemblée des régions d’Europe. Cependant, dans le cadre de Maastricht et plus encore dans celui de Lisbonne, le catalanisme qui est un nationalisme de « petite nation » s’inquiète du poids des grands pays et de l’effet de dissolution que semble impliquer l’élargissement à 27 pays. De plus, et contrairement à un préjugé fréquent dans les grandes nations, le cas flamand ou basque a démontré que l’Union Européenne exerce plutôt une force contraire aux indépendantismes et bloque pratiquement toute forme de sécessionnisme étatique. Du coup, le rejet de l’Europe est patent et en Catalogne, la constitution européenne fut rejetée par 28% de l’électorat contre 17% dans le reste de l’Espagne en 2005.

Ainsi, le renouveau de l’indépendantisme est l’indice le plus apparent d’une mutation du catalanisme. Le catalanisme n’est indépendantiste que par opportunisme : dans ses fondements, il est bien une pensée de « catalanisation de l’Espagne ». Traversé de contradictions et de frustrations en raison de son incapacité à gagner l’État à sa raison, sauf à de rares occasions historiques, le catalanisme n’a jamais été un séparatisme. Cela ne signifie pas qu’il ne puisse le devenir, même si c’est peu probable.

Le modèle constitutionnel espagnol n’est pas parfait mais il a une qualité majeure qui ne s’est jamais démentie : sa souplesse. Sans présenter un modèle stricto sensu exportable à d’autres pays, il propose un modèle de gouvernance qui s’efforce de respecter la diversité sociale et culturelle, la recomposition des territoires et des échelles de pouvoir. Dans un contexte qui faisait de l’État-nation la forme la plus aboutie de la vie sociale et politique, l’Espagne paraissait un monstre perclus de maladies incurables et le catalanisme était nécessairement un « problème ». Aujourd’hui, il faut reconnaître que la lutte entre les partisans de la plurinationalité de l’État et les partisans de la reconnaissance de la pluralité culturelle et linguistique dans un cadre uninational n’a jamais déséquilibré la vie politique au point de compromettre l’unité du pays ou la démocratisation du système politique : tout au contraire, ce débat a plutôt contribué à renforcer la construction d’un État démocratique.

Le catalanisme, modèle pour le postnationalisme ?

Par certaines solutions qu’il préconise, le catalanisme pourrait apporter une solution pour penser demain l’ère du postnationalisme. En effet, il encourage une triple évolution politique : 1/ d’abord, il dissocie l’État, agent de l’unité politique et instance d’organisation de la citoyenneté, et la nation, communauté de culture. Si la communauté politique composée de citoyens se distingue alors de la communauté nationale, l’intégration politique des citoyens ne dépend plus d’une réduction des identités culturelles diverses mais au contraire de leur reconnaissance explicite. 2/ Ensuite, le catalanisme permet de distinguer la revendication pour la souveraineté et la sécession : l’autonomie évolutive permet de satisfaire l’existence de la souveraineté sans recourir à l’indépendance. Le cas démontre que l’affirmation catalaniste ne va pas de pair avec un recul de l’État, mais plutôt de la redéfinition du rôle de ce dernier en tant qu’arbitre du partage du pouvoir et des richesses entre différents acteurs de la société civile. C’est lorsque l’ordre négocié se grippe que le catalanisme peut devenir sécessionniste. 3/ Enfin, le catalanisme permet de penser la dissociation de la nationalité et de la citoyenneté : l’appartenance à la nation catalane pourrait impliquer l’exercice de la citoyenneté dans le cadre politique espagnol, exactement à la manière des membres d’autres pays de l’Union Européenne qui peuvent voter s’ils résident en Espagne, sans perdre leur nationalité.

Ainsi, à une époque où le nationalisme est appelé à s’articuler aux échelles infra-étatique, étatique et supra-étatique, la Catalogne paraît autrement mieux dotée pour affronter le futur que les pays qui croient dans le credo de l’État-nation.

par Stéphane Michonneau, le 2 avril 2010

Pour citer cet article :

Stéphane Michonneau, « L’invention du « problème catalan » », La Vie des idées , 2 avril 2010. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/L-invention-du-probleme-catalan

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Notes

[1Annick Lempérière, Entre dieu et le roi, la République : Mexico, XVIe-XIXe siècle, Paris, Les belles lettres, 2004.

[2Jean-François Chanet, L’école républicaine et les petites patries, Paris, Aubier, 1996 ; Anne-Marie Thiesse, Le roman du quotidien, Lecteurs et lectures populaires à la Belle Époque, Paris, Le Chemin vert, 1984.

[3F. Requejo, Federalismo plurinacional y pluralismo de valores : el caso español, trad. O. Torres Hostench, Madrid, Centro de Estudios Politicos y Constitucionales, 2007.

[4Enric Ucelay Da-Cal, « Violencia simbólica en el nacionalismo radical catalán », Ayer, 13-1994, p. 237-264.

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