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Recension Société

Les patrons et leur organisation

À propos de : Michel Offerlé, Les patrons des patrons, histoire du MEDEF, Odile Jacob


par Jean-Michel Morin , le 30 septembre 2013


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Les organisations patronales sont moins connues que les syndicats de salariés. Pourtant, la question de leur représentativité, de leur fonctionnement et de leur influence se pose avec autant de force. Il est donc heureux qu’un sociologue enquête enfin avec précision sur les coulisses du MEDEF, afin de faire partager un voyage plein de surprises.

Recensé : Michel Offerlé, Les patrons des patrons, histoire du MEDEF, Paris, Odile Jacob, 2013. 368 p., 29, 90 € (ebook : 22, 90€).

Les millions d’entreprises en France sont dirigées par des chefs d’entreprise. Ils sont représentés au sein d’organisations patronales. La principale de ces organisations est le MEDEF. Ce nom, donné en 1998, signifie mouvement des entreprises de France. Il remplace ainsi depuis quinze ans le sigle de CNPF, à évocation trop « patronale ».

Au moment où Laurence Parisot cède la présidence à Pierre Gattaz, après huit ans d’exercice, il est intéressant de faire le point sur les enjeux mais aussi sur le fonctionnement de cette organisation. Quelle est la cohésion interne ? Y a-t-il une cohérence de l’action ? Quel est le poids exacte, face à l’État et aux syndicats de salariés ?

Avec des questions aussi décisives, on ne peut qu’être surpris par la rareté des travaux sur le sujet. Après un sénateur socialiste pour l’histoire ancienne (Henri Weber, 1986) et un journaliste de talent pour l’histoire récente (Guillaume Delacroix, 2009), il est donc heureux qu’un universitaire classique ait enquêté, depuis plusieurs années, rencontrant presqu’une centaine de personnes, souvent au plus haut niveau de l’organisation.

Voyage au pays des patrons

L’introduction montre comment un sociologue parvient à approcher les patrons avec succès. Michel Offerlé enquête avec minutie et neutralité. Devant l’étonnement de ses collègues, il cite Mao (p 21) : à supposer que le chef d’entreprise soit un « ennemi », il convient de le « connaître ». On retrouve là des accents d’Henri Weber.

Le premier chapitre retrace l’histoire récente (1998-2013). Il prolonge ainsi le récit déjà très détaillé de Guillaume Delacroix qui s’arrêtait en 2009, vers la fin du premier mandat Parisot, après la période Seillière-Kessler.

Le chapitre deux est un des sommets du livre. Le MEDEF est d’abord positionné au sein de l’espace patronal où il occupe certes une place centrale mais où il coexiste avec la CGPME (petites entreprises), l’UPA (artisans), l’UNAPL (professions libérales), voire la FNSEA (agriculteurs). Les rapports avec de très grandes entreprises, réunies par ailleurs au sein de l’AFEP, sont aussi évoqués. La structure confédérale qui croise des branches professionnelles et des territoires est ensuite présentée [1]. L’ensemble débouche enfin sur la question clé de la représentativité. Si toutes les entreprises d’une branche ne sont pas fédérées et si toutes les branches de l’économie ne sont pas confédérées au MEDEF, quelle est la représentativité exacte de ce dernier ? Tout en chiffrant cela avec le maximum de précision, l’auteur rappelle qu’en France, la véritable question est celle de la représentation, au delà de la représentativité. En définitive, peu importe presque le nombre d’adhérents ou leurs localisations. Dès lors qu’un accord de branche est signé, il concerne toutes les entreprises de la profession. Dès lors qu’un accord national interprofessionnel est adopté, il s’étend à toutes les entreprises du pays. On peut d’ailleurs en dire autant côté syndicats de salariés.

Les chapitres trois et quatre présentent la base puis le sommet d’une organisation qui, en fait, fonctionne dans ce sens. En effet, ce sont les entreprises qui délèguent des représentants au sein des branches ou des territoires. Puis, ce sont les élus des branches et des territoires qui désignent les représentants des instances centrales. À cet égard, la ou le président n’a rien du « patron des patrons ». Ce sont plutôt ces derniers qui l’ont désigné(e), pour un mandat de cinq ans, prolongeable trois ans. Cela étant posé, Michel Offerlé s’interroge sur les trajectoires des élus mais aussi des permanents et sur les raisons d’adhérer au mouvement pour un chef d’entreprise à la base. Il montre que les motivations utilitaires sont fortes, par exemple disposer de services (comme des conseils en fiscalité ou en droit social). Mais l’adhérent cherche aussi une sociabilité, une notabilité, voire un engagement de principe. Quant au pouvoir du sommet, il semble en particulier tributaire du poids des financements. Au point que l’ensemble se termine par la question : « Qui paye décide ? » On assiste en particulier à un rééquilibrage entre branches : le poids de l’industrie est désormais rattrapé et dépassé par celui des services. À cet égard, les rivalités entre l’UIMM et le GPS sont le reflet de cette tendance de fond. Il faudrait rendre compte des multiples portraits et témoignages qui émaillent la démonstration.

Le cinquième et dernier chapitre aborde la question de l’influence extérieure du MEDEF. L’auteur vient de la sociologie politique, en particulier par l’analyse de l’action collective des groupes d’intérêt. Il avait déjà appliqué cette grille de lecture au MEDEF dans un ouvrage précédent [2]. On voit alors comment les compromis internes sont convertibles en influence externe. Cela va des domaines économiques aux domaines sociaux : d’une action vers Bercy en matière de fiscalité aux négociations entre partenaires sociaux avec les syndicats de salariés.

Représentativité des partenaires sociaux en France

Toutes les questions importantes sont posées. L’ouvrage s’avère ainsi incontournable, d’autant qu’il repose sur un foisonnement de données, tant quantitatives que qualitatives. Il faut voir un Ernest-Antoine Seillière se comparer à une Margaret Thatcher du patronat… et désigner ensuite Laurence Parisot comme un Tony Blair qui doit continuer, en adoucissant ! Ou un Georges Drouin défendre les services depuis son territoire de l’Ouest, etc.

L’auteur est le premier à mentionner le caractère lacunaire de certaines données ainsi que le caractère limité de certaines réponses. Aussi appelle-t-il de ses vœux d’autres travaux, qu’il est en train de susciter. Dans cette perspective, quelques pistes semblent intéressantes.
Sur le choc de culture éprouvé par certains chefs d’entreprise lorsqu’ils passent de la direction de leur entreprise à des responsabilités d’élus patronaux, il conviendrait de croiser cela avec différentes structures d’entreprise. Une patronne de PME ou un manager de multinationale centralisée a certes un choc plus grand en arrivant à la tête d’une confédération qu’un assureur mutualiste, un patron de la grande distribution ou le gestionnaire d’un conglomérat familial. De par leurs structures, ces derniers sont plus obligés de consulter la base et de fédérer des entités diverses.

Sur les raisons très utilitaires de devenir cotisant, elles sont indéniables. En même temps, l’auteur se sert avec bonheur des grilles issues de la sociologie de l’engagement, habituellement appliquées aux militants politiques, syndicaux, associatifs. Peut-être faut-il explorer plus loin cette piste. Il y a une analyse de : « L’esprit du capitalisme médéfien » (p 284 sq.), à partir du livre Besoin d’air de 2007. Il en ressort qu’il y a une constante dans la doctrine depuis des décennies : défense de la libre entreprise dans une économie (sociale) de marché. Mais il y a aussi des clivages internes entre patrons libéraux, sociaux, étatistes, mondialistes… Il y a aussi de « l’indignation » (Seillière en parle avant Hessel, mais, lui, c’est contre les 35 heures). Bref, il y a certes des intérêts mais aussi des passions et des principes. Par suite, il y a aussi une volonté de faire partager ces principes, y compris vers des milieux réputés méfiants : journalistes, enseignants, artistes, magistrats…

Sur les liens avec l’État, l’auteur insiste peu sur les différences entre périodes où ont alterné des majorités de gauche ou de droite en France. On peut penser que les chefs d’entreprise et leurs élus du MEDEF n’ont pas le même regard sur Martine Aubry ou sur Jean-Pierre Raffarin. De même, la comparaison avec les syndicats de salariés s’interrompt trop vite, alors qu’on a vu combien elle s’avère fructueuse pour analyser les motivations à la base. Il semble pourtant que la CGT ou la CFDT ont exactement les mêmes structures confédérales que le MEDEF, avec branches et territoires. Par suite, ces confédérations connaissent des tensions internes analogues [3] . Bien plus, le problème de la représentativité se pose dans les mêmes termes. À nouveau, il n’est pas nécessaire que chaque salarié soit adhérent d’un syndicat pour que tous soient ensuite concernés par les accords qui sont signés. La grande différence est plutôt que la cotisation vient du porte-monnaie du salarié pour une adhésion à un syndicat, alors qu’elle vient de la caisse de l’entreprise quand le chef d’entreprise adhère à une ou plusieurs organisations patronales. Au delà, il serait intéressant de développer l’étude du paritarisme, où organisations syndicales et patronales pilotent conjointement, sous le contrôle de l’État, le système de protection sociale (maladie, chômage, retraite), jusque dans ses aspects médecine du travail, formation professionnelle, etc.

En définitive, il serait alors possible de relier cette organisation-lobby analysée dans l’ouvrage à des considérations plus classiques sur la régulation économique et sociale en France, très marquée par un jeu à trois entre État, patronat et syndicats. À cet égard, le voyage dans les coulisses du MEDEF que fait partager Michel Offerlé au lecteur apporte une lumière indispensable. Il éclaire en particulier d’un jour plus interne les conditions dans lesquelles a pu se préparer la grande loi du 20 août 2008 sur la représentativité des partenaires sociaux. Mais, avec l’arrivée de nouveaux responsables, tant au gouvernement qu’à la tête de grandes centrales syndicales ou du MEDEF, la suite de l’histoire est déjà en train de s’écrire [4].

par Jean-Michel Morin, le 30 septembre 2013

Aller plus loin

Aller plus loin :
  Henri Weber, Le parti des patrons, Le CNPF, 1946-1986, Seuil, 1986.
  Guillaume Delacroix, Enquête sur le patronat. Dans les coulisses du scandale MEDEF / UIMM, Plon, 2009.

Pour citer cet article :

Jean-Michel Morin, « Les patrons et leur organisation », La Vie des idées , 30 septembre 2013. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/Les-patrons-et-leur-organisation

Nota bene :

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Notes

[1Dans une étape intermédiaire de l’enquête, un rapport encore plus détaillé avait été remis à la DARES, en 2011. Il est accessible sur Internet.

[2Michel Offerlé, Sociologie des organisations patronales, La Découverte, « Repères », 2009.

[3Pour la CGT, cf. Françoise Piotet (dir.), La CGT et la recomposition syndicale, PUF, « Le lien social », 2009.

[4Sur les coulisses de la loi de 2008, il faudrait prolonger l’entretien avec un acteur central comme Raymond Soubie (conseiller du Président Sarkozy à cette époque et interrogé dans le livre) ou rencontrer un observateur averti comme Hubert Landier (chargé d’un cours sur ces thèmes pendant 20 ans, en master IRH, à l’Université Paris Descartes). Sur la suite de l’histoire, cf. « MEDEF-CGT, nous avons même trouvé des convergences », débat entre Pierre Gattaz, Président du MEDEF et Thierry Lepaon, Secrétaire général de la CGT, Marianne, 20 au 26 juillet 2013, p. 48 à 52.

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