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Essai Société

Séminaire du CERI sur les politiques antidiscriminatoires

La condition des « Intouchables »
Compte rendu de la séance du 28 janvier 2008


par Daniel Sabbagh , le 14 février 2008


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Animé par Gwénaële Calvès (Université de Cergy-Pontoise) et Daniel Sabbagh (CERI-Sciences Po), le séminaire de recherches « Politiques antidiscriminatoires » existe depuis l’automne 2001. Le sujet est abordé dans une perspective comparative et interdisciplinaire. Au programme du 28 janvier 2008 : « Equal By Law, Unequal by Caste : The « Untouchable » Condition in Critical Race Perspective », par Smita Narula (New York University).

La séance du 28 janvier 2008 était consacrée à la présentation par la juriste Smita Narula (New York University) d’un texte intitulé « Equal By Law, Unequal by Caste : The « Untouchable » Condition in Critical Race Perspective », à paraître dans une prochaine livraison du Wisconsin Journal of International Law. Après un rappel des différences entre la conception états-unienne, à dominante binaire, de la « race » et la caste en tant que fondement d’un système d’« inégalité graduée » [1] offrant à la quasi-totalité des groupes ainsi hiérarchisés la possibilité d’en tirer parti, l’auteure y décrit avec force détails ce qu’elle identifie comme l’un des traits les plus singuliers de la configuration indienne : l’ampleur de la disjonction entre le contenu – égalitaire, et même particulièrement « progressiste » – des normes juridiques et plus spécifiquement constitutionnelles en vigueur, d’une part, la persistance de violations massives des droits fondamentaux les plus élémentaires des personnes – les femmes en particulier – identifiées comme « intouchables », d’autre part. En effet, non seulement les très nombreux actes de violence commis à leur encontre et censés venir sanctionner la transgression de normes sociales de ségrégation et d’endogamie – meurtres, viols et autres sévices – demeurent largement impunis [2], mais il n’est pas rare que les agents publics eux-mêmes y prennent une part plus ou moins active. Se juxtaposent ainsi de manière particulièrement crue un ordre juridique caractérisé par l’abolition officielle de l’intouchabilité – en vertu de l’article 17 de la Constitution – ainsi qu’une nette prise en compte de la nécessité de remédier aux inégalités observées – y compris au moyen de mesures de discrimination positive – et une réalité sociale où des pratiques partiellement similaires aux lynchages de l’ère Jim Crow dans le Sud des États-Unis sont encore légion…

La position de l’auteure au regard des « réservations » en vigueur au bénéfice des Dalits ainsi que des basses castes (« Other Backward Classes ») dans l’accès aux universités et emplois publics présente par conséquent un caractère ambivalent. Elle souligne leurs limites – moins de 1% des Dalits se trouvent concrètement en mesure d’en bénéficier –, limites encore accrues par les privatisations intervenues dans les deux dernières décennies, puisque le secteur privé demeure à l’écart du dispositif. Elle suggère même que la focalisation du débat public sur la discrimination positive a pu contribuer à faire obstacle à la prise de conscience du degré d’exploitation et de violence dont les Dalits continuent de faire l’objet. Elle défend néanmoins le dispositif, dans la mesure où le principe « méritocratique » que l’on invoque à son encontre fait abstraction du contexte de subordination extrême dans lequel s’inscrivent les programmes en question et contribue à légitimer le système des castes en pérennisant ses effets.

Introduite par Christophe Jaffrelot (CERI-Sciences Po), la discussion a porté notamment sur la critique que propose l’auteure de la discrimination positive comme instrument de transformation sociale. Si l’on conçoit cette transformation comme étant nécessairement de nature indirecte, le jugement formulé à l’égard des « réservations » sera sans doute moins négatif. Est également évoquée l’hypothèse que le niveau de violence exercé à l’encontre des Dalits soit positivement corrélé au progrès de leur émancipation objective. On s’accorde enfin sur l’idée que, en tout état de cause, la discrimination positive n’a pas eu en Inde un impact sur la fréquence et la diversité des contacts entre les différents groupes aussi net que dans la plupart des autres pays ayant mis en œuvre des politiques analogues.

par Daniel Sabbagh, le 14 février 2008

Pour citer cet article :

Daniel Sabbagh, « La condition des « Intouchables ». Compte rendu de la séance du 28 janvier 2008 », La Vie des idées , 14 février 2008. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/La-condition-des-Intouchables

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Notes

[1La formule est empruntée à B.R. Ambedkar, architecte de la constitution indienne de 1950 et grande figure de la cause intouchable : voir Christophe Jaffrelot, Dr. Ambedkar : leader intouchable et père de la constitution indienne, Paris, Presses de Sciences Po, 2000.

[2Ce qui n’est sans doute pas sans rapport avec le fait que le champ d’application de la discrimination positive n’inclut pas les modalités d’accès à l’exercice de fonctions judiciaires, les Dalits (ex-« intouchables ») demeurant donc très peu nombreux parmi les juges.

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