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Colombie

Démobilisation des paramilitaires et justice de transition en Colombie


par Sylvain Schultze , le 26 novembre 2007


Lorsque le Congrès colombien approuve en juillet 2005 le projet de Loi Justice et Paix qui donne un cadre légal à la démobilisation des paramilitaires, c’est en l’absence du Parti Libéral et du Pôle Démocratique (gauche). L’opposition politique s’est retirée, faute de garanties. Rafael Pardo Rueda, ancien sénateur et membre de cette opposition, livre dans son dernier ouvrage une synthèse du phénomène paramilitaire en Colombie et revient sur les risques politiques et les vides juridiques ouverts par ce projet de loi controversé.

Recensé :

Rafael PARDO RUEDA, Fin del paramilitarismo, ¿Es posible su desmonte ?, Ediciones B, 2007.

« “Il faut empêcher que les “paras” cachent la vérité et perpétuent de fausses accusations », défendait Rafael Pardo Rueda dans sa dernière tribune dans le quotidien national colombien El Tiempo. C’est l’une des revendications de l’ancien sénateur dans son dernier essai Fin del paramilitarismo, es posible su desmonte ? : « Fin du paramilitarisme, son démantèlement est-il possible ? ». Un livre consacré au processus de paix engagé entre le gouvernement colombien et les paramilitaires.

Critique invétéré des négociations de paix engagées depuis le premier mandat d’Alvaro Uribe en 2002, Rafael Pardo jouit d’une certaine expérience en matière de justice transitionnelle. Economiste, professeur d’université, chercheur et journaliste, Rafael Pardo a aussi été Conseiller pour la paix lors du mandat du Président Virgilio Barco [1986-1990] et a conduit les négociations avec quatre guérillas du pays : le M-19, l’Armée Populaire de Libération (EPL), le Parti Révolutionnaire des Travailleurs (PRT) et le Quintín Lame. Il assume lors de la présidence de César Gaviria [1990-1994] le rôle d’assesseur national de sécurité puis est nommé Ministre de la Défense. Au cours de cette période, il participe à la réforme de la Police Nationale colombienne. Son nom reste notamment attaché à la création du Commando Spécial Conjoint, ou Bloc de Recherche, mis en place pour la poursuite et le démantèlement du cartel de Medellín dirigé par Pablo Escobar.

L’ouvrage nous plonge dans 20 ans d’histoire du paramilitarisme, depuis la constitution au milieu des années 1980 de groupes d’autodéfense paysannes pour lutter contre l’expansion des guérillas, à la création en 1997 par Carlos Castaño des Autodéfenses Unies de Colombie (AUC), jusqu’au vote de la loi 975 de 2005, plus connue sous le nom de Loi Justice et Paix, qui donne un cadre légal à la démobilisation des paramilitaires. Si le dessein initial des paramilitaires ne fait aujourd’hui plus l’objet de débat – le rachat à bas prix des terres fertiles abandonnées par les paysans par crainte de la guérilla –, l’apport de cet ouvrage est de montrer qu’il n’existe pas en Colombie de vision partagée du paramilitarisme, pas plus qu’il n’existe de consensus autour de ses actions ni autour de ses valeurs. La présentation des différentes métamorphoses du phénomène, politique au départ puis économique – largement alimenté par la manne du narcotrafic – et enfin strictement clientéliste, ne fait cependant pas abstraction des multiples massacres commis sur les civils, pas plus qu’elle n’occulte un des problèmes historiques de la Colombie : l’absence de présence étatique dans des pans entiers du pays.

C’est à la Loi Justice et Paix que l’auteur consacre la grande partie de ses interrogations. Votée au Congrès colombien en juillet 2005 en l’absence de l’opposition, Rafael Pardo dénonce un pacte secret entre le gouvernement et les Autodéfenses Unies de Colombie dont le pardon judiciaire et la non-extradition des chefs paramilitaires constituent la substance. Si l’auteur reconnaît la nécessité de trouver une alternative pénale au jugement des responsables (la loi ouvre la possibilité de peines de prison allant de 5 à 8 ans pour ceux qui en respectent les termes), il s’attaque au traitement de faveur accordé aux hauts-responsables paramilitaires ainsi qu’aux multiples lacunes ouvertes par la loi, notamment en matière de vérité et de réparation. Dans un pays en conflit et au moment où s’engagent les pourparlers, l’auteur s’inquiète des risques d’un accord léonin dans lequel les paramilitaires usent de leur influence, et s’interroge sur les vides juridiques laissés par la Loi sur lesquels ont eu à se prononcer les hautes cours de Justice.

Rétrospectif, l’ouvrage se veut aussi prospectif. En guise de feuille de route, le lecteur trouvera au terme du livre huit propositions pour « en finir avec le paramilitarisme ». On notera, quant à nous, quelques propositions concrètes et pragmatiques qui sortent des lieux communs et des solutions miracles présentées lors de processus de justice transitionnelle, où Justice et Paix apparaissent bien trop souvent comme des objectifs inconciliables.

par Sylvain Schultze, le 26 novembre 2007

Pour citer cet article :

Sylvain Schultze, « Démobilisation des paramilitaires et justice de transition en Colombie », La Vie des idées , 26 novembre 2007. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/Demobilisation-des-paramilitaires

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